Lettre de Greve à André Gide, 7 juin 1904



English Version



(BAAG no 32, Octobre 1976, 37-38, et notes 98-105)
Lettre de Greve du 07.06.1904

Cher Monsieur,

Quand nous nous séparions à Paris, je n'ai pu vous remercier comme je l'aurais voulu. Je ne vous envoie pas encore la lettre promise, mais ce qu'il me faut dire c'est que le 2 juin a été un événement dans ma vie.

Permettez-moi de vous dire encore une chose.L'influence: c'est bien ça, ce que je souhaite, et si je vous ai bien compris, c'est aussi ce que vous souhaitez. Mais moi -- bien entendu, ce n'est pas là ce que j'ai tant souhaité pouvoir exprimer pendant notre promenade, et ce que je ne puis même pas encore vous dire -- moi, je crois à l'influence de la vie. Je crois l'influence de la vie bien[98] supérieure à celle de la littérature. César a été un démoralisateur plus grand que Nietzsche et Wilde. Ce qu'il y a de plus immoral, c'est le pouvoir. Moi, j'ai le pouvoir. La richesse serait une arme admirable. Maintenant il me faut forger une arme de la littérature. Mais le but -- c'est la vie. Je ne suis pas artiste. Je ne pourrai jamais vivre qu'une vie très dangereuse. Mais je compte triompher. Il ne faut pas m'en vouloir si toujours je vous parle en adversaire. Je suis tellement jeune encore (j'ai 25 ans) que ce m'est [99] une nécessité de contredire, et que je ne trouve ma vérité qu'en contredisant.

Je ne sais pas encore comment je vivrai pendant l'été. Je vous donnerai mon adresse dès que je la saurai[100] moi-même. Pour quinze jours encore les lettres, etc., me parviendront par l'adresse suscrite.[101]  Je partirai pour Londres jeudi et compte[102] être de retour à Cologne le 7.[103]

L'éditeur pour L'Immoraliste[104] est trouvé. Je garde le manuscrit encore et je vous écrirai avant d'entrer dans des négociations définitives.Croyez-moi, Monsieur, très cordialement votre

F. P. G.

Cologne[105]


[97] Gide transcrit ici très exactement (sauf quelques menues modifications que nous signalons en notes) la lettre que Greve lui a adressée de Cologne, datée du 7 juin 1904 (enveloppe adressée à: M. André Gide / Château Cuverville / par Criquetot-l'Esneval / Seine Inférieure / Frankreich ; cachets postaux de Cöln, 7.6.04 et de Criquetot-l'Esneval, 8.6.04).

[98] Gide ajoute bien, qui ne se trouve pas dans le texte autographe de Greve.
[99] Greve avait écrit: qu'il m'est.
[100] Greve: dès que je la sais.
[101] Greve: pour quinze jours environ des lettres etc. me parviendront encore par l'adresse souscrite.
[102] Greve: et je compte.
[103] Greve: de retour à Cologne dans quinze jours. La correction de Gide reste assez énigmatique....
[104] Ce sera J.C.C. Bruns, de Minden, qui éditera la traduction de L'Immoraliste par Greve, en 1905.
[105] La lettre est signée Felix P. Greve; adresse et date suivent la signature: Köln a. Rh., / Albertusstr. 37 / 7.VI.04. Gide avait conservé sa réponse à cette lettre de Greve: brouillon? copie? lettre non envoyée? Nous l'ignorons, En voici le texte: "Cuverville / 11 juin / L'attente de votre lettre promise occupe mes journées. / Ne vous excusez pas de m'avoir contredit, lorsque, devant vous, viveur, je prenais position d'artiste. Si alors vous ne m'aviez pas 'parlé en adversaire', comme vous dites, comprenez donc que vous m'eussiez violemment déçu. / Votre écouteur passionné / André Gide."

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