English Version
(BAAG no 32, Octobre
1976, 37-38, et notes 98-105)
Lettre de Greve du 07.06.1904
Cher
Monsieur,
Quand
nous nous séparions à Paris, je n'ai pu vous
remercier comme je l'aurais voulu. Je ne vous envoie pas
encore la lettre promise, mais ce qu'il me faut dire c'est
que le 2 juin a été un événement
dans ma vie.
Permettez-moi
de vous dire encore une chose.L'influence:
c'est bien ça, ce que je souhaite, et si
je vous ai bien compris, c'est aussi ce que vous souhaitez.
Mais moi -- bien entendu, ce n'est pas là ce
que j'ai tant souhaité pouvoir exprimer pendant
notre promenade, et ce que je ne puis même pas encore
vous dire -- moi, je crois à l'influence de la
vie. Je crois l'influence de la vie bien[98] supérieure à celle
de la littérature. César a été un
démoralisateur plus grand que Nietzsche et Wilde.
Ce qu'il y a de plus immoral, c'est le pouvoir. Moi, j'ai
le pouvoir. La richesse serait une arme admirable. Maintenant
il me faut forger une arme de la littérature. Mais
le but -- c'est la vie. Je ne suis pas artiste. Je ne pourrai
jamais vivre qu'une vie très dangereuse. Mais je
compte triompher. Il ne faut pas m'en vouloir si toujours
je vous parle en adversaire. Je suis tellement jeune encore
(j'ai 25 ans) que ce m'est [99] une nécessité de contredire,
et que je ne trouve ma vérité qu'en contredisant.
Je
ne sais pas encore comment je vivrai pendant l'été.
Je vous donnerai mon adresse dès que je la saurai[100] moi-même.
Pour quinze jours encore les lettres, etc., me parviendront
par l'adresse suscrite.[101] Je
partirai pour Londres jeudi et compte[102] être
de retour à Cologne le 7.[103]
L'éditeur
pour L'Immoraliste[104] est trouvé. Je garde le manuscrit
encore et je vous écrirai avant d'entrer dans des
négociations définitives.Croyez-moi,
Monsieur, très cordialement votre
F.
P. G.
Cologne[105]
[97] Gide transcrit ici très exactement
(sauf quelques menues modifications que nous signalons
en notes) la lettre que Greve lui a adressée
de Cologne, datée du 7 juin 1904 (enveloppe
adressée à: M. André Gide /
Château Cuverville / par Criquetot-l'Esneval
/ Seine Inférieure / Frankreich ; cachets
postaux de Cöln, 7.6.04 et de Criquetot-l'Esneval,
8.6.04).
[98] Gide ajoute bien, qui ne se
trouve pas dans le texte autographe de Greve.
[99] Greve avait écrit: qu'il
m'est.
[100] Greve: dès que je la sais.
[101] Greve: pour quinze jours environ
des lettres etc. me parviendront encore par l'adresse
souscrite.
[102] Greve: et je compte.
[103] Greve: de retour à Cologne
dans quinze jours. La correction de Gide reste
assez énigmatique....
[104] Ce sera J.C.C. Bruns, de Minden, qui éditera
la traduction de L'Immoraliste par Greve, en
1905.
[105] La lettre est signée Felix
P. Greve; adresse et date suivent la signature: Köln
a. Rh., / Albertusstr. 37 / 7.VI.04. Gide avait
conservé sa réponse à cette
lettre de Greve: brouillon? copie? lettre non envoyée?
Nous l'ignorons, En voici le texte: "Cuverville
/ 11 juin / L'attente de votre lettre promise occupe
mes journées. / Ne vous excusez pas de m'avoir
contredit, lorsque, devant vous, viveur, je prenais
position d'artiste. Si alors vous ne m'aviez pas
'parlé en adversaire', comme vous dites, comprenez
donc que vous m'eussiez violemment déçu.
/ Votre écouteur passionné / André Gide."
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